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PSYCHANALYSE ET SOUFISME
L’élévation spirituelle à travers les profondeurs de l’âme
L’articulation entre psychanalyse et soufisme est une entreprise délicate et nécessaire pour la psychanalyste Jungienne et Soufie que je suis, mais aussi pour tout individu désirant aboutir à une vie spirituelle authentique. Pour chaque patient, la psychanalyse est le temps et le lieu par excellence de la découverte de soi, de son histoire, et de la structuration de sa personnalité psychique. Elle permet au sujet de trouver les chemins de liberté qui lui étaient jusqu’à présent barrés. La majorité des patients se reconstruisent dans un espace laïque ; et surtout sans recourir à une quelconque référence spirituelle, alors que le passage d’un certain cap nécessite une décision douloureuse que seule la spiritualité aiderait à rendre cela possible. La démarche religieuse représente aussi un danger fatal quand on omet de tenir compte du facteur psychologique. La vie spirituelle est toujours incarnée dans une psychologie, et l’équilibre de la vie psychologique requiert l’intégration de la dimension spirituelle. Le progrès spirituel ne peut se désintéresser d’une perpétuelle remise en question psychologique. René Guénon pense que: «Dans nos civilisations, il y a une coupure qui s’est établit entre deux enseignements se superposant sans jamais s’opposer, (l’exotérisme) appelle (l’ésotérisme), comme son complément nécessaire. Lorsque cet (ésotérisme) est méconnu, la civilisation, n’étant plus rattachée directement aux principes supérieurs par aucun lien effectif, ne tarde pas à perdre tout caractère traditionnel.» (1) Si la psychanalyse peut aider la personne à surmonter ses problèmes personnels, et à découvrir sa propre manière de réagir au monde, elle n’a pourtant pas la prétention d’assurer l’harmonie des relations humaines. Être; c'est être en rapport avec les autres, il n'existe pas d'être isolé. Nos rapports humains sont un état de conflits intérieurs et extérieurs. L'extension du conflit intérieur devient un conflit mondial. Vous et le monde n'êtes pas séparés, votre problème est le problème du monde ? Vous portez le monde en vous, sans vous, il n'est pas. L'isolement n'existe pas, il n'est pas d'objet qui ne soit relié aux autres. Il y a là une articulation, une distinction et une unité entre psychanalyse et spiritualité. Telles sont les questions qui me préoccupent et que je voudrais humblement affronter de manière succincte dans cet article. Comme on peut le comprendre, le défi est immense car cela nécessite une recherche et une étude approfondie sur le plan anthropologique et psychanalytique. Le sujet ne sera pas épuisé dans cet article. Je tiens seulement à communiquer une simple réflexion de psychologue clinicienne et psychanalyste. Je ne manquerais pas non plus de m’appuyer sur ma propre expérience spirituelle en tant que soufie. J’ajouterais aussi que mon intention n’est pas de faire la psychanalyse du soufisme, mais de juger des buts et de la méthode de la psychanalyse à la lumière de la psychologie Transcendantale soufie. Vue sous cet angle, la psychanalyse en ressort située à un rang assez différent de celui que l’on a l’habitude de lui assigner en général. En effet, comment parler intellectuellement de l’engagement sur la voie soufie qui est une expérience intérieure pure dont le caractère d’ineffabilité rend l’exploration discursive presque impossible. Mais, sous certains aspects, la psychanalyse par son approche des actes humains, ses découvertes et ses principes peut nous éclairer à comprendre les dispositions d’une personne désirant emprunter la voie spirituelle en général et notamment la voie soufie.
Qu’est-ce que le
soufisme ?
Le soufisme, réputé par sa pratique tolérante de l’Islam, se situe donc, en bonne partie, en dehors de toute saisie conceptuelle ou de tout raisonnement. On dit souvent que le soufisme est une saveur et qu’on ne peut le connaître que si on y a goûté. La portée et l’étendue sont si vastes et variées dans leurs différents aspects, qu’il est impossible de les exprimer seulement par de simples mots. Aujourd'hui, nous sommes invités à vivre pleinement le soufisme, dont une des définitions majeures est la "science de l'intériorité" ('ilm al-bâtin).
Le soufisme est l’expérience et la réalisation désintéressée de la Vérité-Réalité absolue, qui est l'expérience divine, et dont le moteur est l’Amour et la dévotion. Si la foi musulmane se manifeste partout et tous les jours à partir des cinq prières, le soufisme, cœur même de l’Islam apparaît plus secret, plus subtile. Le soufisme s’occupe de la réalisation de Soi et de la réalisation de Dieu. Il n’a rien à voir avec l’étalage extérieur de l’Islam, tel qu’on le pratique souvent aujourd’hui. Le soufisme, expérience spirituelle individuelle, ne peut cependant être réalisée ni se vivre sans l’aide d’un maître, guide infaillible sur le chemin spirituel intérieur. Le rôle d'un maître est d'accueillir des élèves qui, mus par l'amour, auraient grandi jusqu'au stade où ils auraient pu mourir à l'égo et fusionner avec la conscience existentielle. Le but est d'acquérir une attitude neutre et silencieuse jusqu'à ce qu'il ne subsiste plus que le processus d'apprendre. Par la lucidité résultant d'une telle approche, l'individu prend conscience de ses limites pour s'en affranchir ensuite. Il accède ainsi à la conscience de l'unité fondamentale du monde. Les notions de maître et d'élève disparaitraient alors. Et, il n'y a plus qu'une conscience qui incite à collaborer et à réfléchir ensemble. Car c'est cela l'essence de la mission de tous les maîtres: nous aider à mourir à notre faux moi et à évacuer notre savoir illusoire, ici et maintenant; pendant que nous disposons d'un corps humain.
Tous les maîtres soufis ont de l’amour pour Dieu et pour la création de Dieu, et donc aiment tous les hommes, peu importe qu’ils croient en Dieu ou non. Ils ne font aucune distinction entre les théistes, les athées ou les agnostiques. Le grand soufi Rumi a dit:«Une vie sans amour ne compte pas. Ne vous demandez pas quel genre d’amour vous devriez rechercher, spirituel ou matériel, divin ou terrestre, oriental ou occidental… L’amour n’a pas d’étiquettes, pas de définitions. Il est ce qu’il est, pur et simple. L’amour est l’eau de vie. Et un être aimé est une âme de feu ! L’univers tourne différemment quand le feu aime l’eau.» L’homme n’est pas plus qu’un animal sans conscience, s’il n’est pas animé par des sentiments d’amour et d’affections pour ses semblables, s’il ne partage pas leurs joies et leurs peines, et s’il ne leur prête pas une main secourable dans les difficultés et l’affliction. Les prophètes de tous les temps ont apporté un message commun qui est celui de l’amour universel. En vérité, pas un seul Homme ne peut prouver son amour à Dieu, tant qu’il ne sait comment aimer son prochain.
Faut-il prier tous les jours suffisamment pour dépasser un problème psychologique? Ou bien, suffit-il de se sentir mieux psychologiquement pour s’élever spirituellement et sauver son âme?
La relation entre les difficultés psychologiques et la dimension spirituelle est à la fois complexe et ambigüe. Concrètement, certaines pathologies psychologiques ont leur source et donc leur éventuelle issue en des décisions d’ordre spirituel. Alors qu’un tas de difficultés psychiques induisent des questionnements spirituels. Autrement dit, il est question d’un défi spirituel que représente pour l’homme les souffrances psychologiques. La seule solution aux déséquilibres qui sévissent dans l'universalité des activités humaines, réside dans la connaissance de soi. Dans l'inévitable conséquence qui n'est que le dépassement de soi et la vie unitive (onenesse). Mais le dépassement de soi ne peut se faire sans l'équilibre de nos fonctions psychiques. Carl Gustave Jung pense «qu'il faut acheminer notre malade vers cette région où naît en lui l'unité, le lien avec l'universel, où se produit cette naissance créatrice qui (entre-déchire la mère) et qui est, au sens le plus profond, la cause de toutes les dissociations de la surface. (3) Si mes espérances réelles n’ont pas de consistances spirituelles, les appuis essentiels de mon existence ne sont pas suffisants pour en fonder le sens. L’enracinement spirituel de certains problèmes psychiques commande qu’ils soient abordés sur ce plan. Sinon, le dénouement ne peut être que partiel et temporaire.
En effet, vivre et réagir qu’en fonction du ressenti pose deux problèmes : De l’extérieur vers l’intérieur, tout s’apprécie à partir des émotions suscitées et leur rationalisation. Ceci nous empêche d’aller vers notre intériorité spirituelle. De l’intérieur vers l’extérieur, les actes posés partent des réactions psychiques et non de la liberté spirituelle éclairée. Sans refuser l’affectivité, on peut trouver le juste milieu pour intégrer le spirituel à notre vie de tous les jours. L’intégration spirituelle de l’affectivité a un contexte communautaire, mais elle est aussi et surtout un cheminement personnel. D’une manière générale, la dimension spirituelle exerce toujours une influence importante sur la dimension psychique, et l’on ne peut plus exclure l’utilité d’intégrer la dimension spécifiquement spirituelle. Le soufisme et la psychanalyse constituent alors pour moi une véritable exploration des profondeurs de l’âme humaine.
L’adoration de Dieu et la dévotion réelles sont purement des processus intérieurs, indépendants, et sans aucun rapport avec tout ce qui est extérieur à la forme humaine. Le devoir premier du maître soufi, consiste à aider l'élève à découvrir son esprit et connaître son âme. Leurs efforts se concentrent à ouvrir l’œil du cœur, et non à apporter un savoir discursif qui ne peut que limiter l’individu à son mental. Les guerres entre communautés et toutes les formes d’hostilités entre les gens sont engendrées en premier lieu par cette tendance de la psyché à s’attacher avec fanatisme des idées toutes faites. Ainsi, il s’avère difficile de se libérer des dogmes, et des entraves de l’esprit. Pour combattre le nihilisme et désarmer les extrémismes, il est fondamental de nourrir l’âme humaine en transcendant les identités réductrices. Pour l’homme le combat le plus difficile est «de lutter contre soi-même». Cet ennemi intérieur, contrairement aux ennemis extérieurs qui sont faciles à définir, à connaître et à combattre, est très difficile à saisir et à vaincre. Carl Gustav Jung dit: «L’homme moderne, noyé dans de fausses idéologies collectives, désorienté par un manque de valeurs auxquelles se raccrocher, a oublié qu’il avait une âme. Il recherche désespérément en dehors de lui quelque chose qui puisse l’animer, le rendre vivant. C’est pourtant en lui qu’il pourrait retrouver le contact avec les forces inconscientes qui l’animent, en se confrontant avec elles.» (2)
Il est question alors, d’une lutte permanente entre le soufi et sa part d’ombre. Pour cela, les mystiques établissent un dialogue avec leur âme comme avec une autre personne. En effet, ils la considèrent comme un ennemi rusé et trompeur avec lequel il convient d’être toujours vigilant. On ne peut plus nier qu’il existe chez les hommes une part d’ombre, dont surgit tout le mal qui se manifeste dans nos actions les plus terrifiantes. C’est le centre et la source de tous les vices humains : «l’orgueil, la violence, la jalousie etc…» Par ailleurs, des aptitudes psychiques telles que: «l’égocentrisme, la volonté de puissance, le désir de contrôle etc…» deviennent plus fortes chez celui qui se laisse gouverner par son égo. De nos jours, on constate dans les réseaux sociaux, toute cette mise en scène de soi: « les selfies, et l’individualisme…» sont autant de preuves qui témoignent chaque jour davantage d’une hypertrophie de l’égo. Mais paradoxalement, cette évolution conjointe de la mondialisation et des progrès numériques efface peu à peu le rapport subjectif à Soi. Ce « narcissisme de masse » participe en quelque sorte à une déconstruction minutieuse de toute subjectivité. L’égo étant «l’ensemble des sentiments, le corps, et le mental», auquel on s’identifie. Cependant, tout ce avec quoi l’homme s'identifie, comme étant lui-même, n'est pourtant pas tout à fait lui-même. Et, du jour où cette idée jaillit dans son cœur. On peut dire de l'homme, qu’il a commencé son voyage dans le chemin de la Vérité. Ainsi, Ce qui doit être accompli est la séparation avec l’égo, le petit soi.
Comment dissiper les illusions qui faussent notre perception et aborder notre vie intérieure sans aucune réduction ?
Il nous faut d'abord dissiper la confusion du conscient en comprenant nos problèmes aussi largement que possible, avec impartialité et lucidité. Ensuite, profitant de cette éclaircie du conscient élucidé, l'esprit intérieur peut se projeter. Pour Carl Gustave Jung, le conscient n'est « qu'un rejeton tardif de l'inconscient...» le « Moi» ou «le centre conscient» et qui me semble d'une grande continuité et d'une grande identité à soi (2).Ce «Moi», n'est dans la conception Jungienne qu'un aspect périphérique et très superficiel de la totalité psychique, de la «personnalité intégrale» que Jung désigne comme le «Soi». L’identité profonde de la personne reste un mystère spirituel, car cela renvoie d’une part à tout ce qui est hors de contrôle, et d’autre part aux actes libres dont la personne s’engage. En effet, ce sont nos actions qui conditionnent les diverses réactions conséquentes et que toute réaction est nécessairement de nature concordante à l'action préalable. Par conséquent ; l’épanouissement de tout individu est tributaire d’un équilibre entre ses aspirations, les exigences légitimes de la société et sa capacité à rendre conscient la part d’ombre qui gît au plus profond de lui.
L’Homme est dominé par ses propres désirs, ainsi que ses divers attachements névrotiques voire psychotiques. La peur le maintien dans une sorte de piège où ses impulsions habituelles s’écartent de l’harmonie avec sa propre nature et en deviennent malades. De cela, il en résulte des sentiments défectueux et donc des pensées et des perceptions peu sûres. La fausse perception que chaque personne souffrante a de ses propres sentiments, désirs et ses attachements demeure pour la plupart du temps qu’une expérience douloureuse et confuse. Alors, comment faire pour se détacher de cette illusion, celle de prendre pour vrai la seule croyance que la personne a dans ce qu’elle sent et
re-ssent ?
Les enseignements de nos maîtres soufis et leur façon d’être et de vivre, constituent une discipline appelé « psychologie transcendantale » à part entière. Les soufis ont nommé leur psychologie « La connaissance de soi », qui est considérée comme la plus grande partie de la recherche mystique et le fondement même de la quête spirituelle. Ne dit-on pas dans le monde soufi que pour connaître Dieu, il faut d’abord se connaître soi-même. La voie qui conduit à l’accomplissement de Soi passe nécessairement par la réconciliation du cœur et de la raison. L’affectivité est au centre de la problématique des blessures psychiques voire spirituelles. Les sentiments que provoque le souvenir de ces derniers sont pénibles et provoquent des comportements inadaptés, regrettables et même catastrophiques. Pour l’homme, « discerner », c’est identifier et décrire ce qu’il vit de la manière la plus fidèle possible de la réalité telle qu’elle est et non telle qu’il voudrait qu’elle soit. Le mystère de la personne précède la perception qu’elle peut avoir d’elle-même, ainsi que l’expression qu’elle donne dans ses actes. En premier lieu, c’est la raison qui peut être la cause de notre égarement, si elle n’est pas en étroite liaison avec notre esprit et notre cœur. Relier la raison à l’esprit constitue la connaissance mystique soufie. Ce qui veut dire, se libérer de l'influence de son mental et des illusions engendrées par la raison discursive. La psychanalyse aide le patient à se confronter à ses sentiments, d’identifier ses causes et par la suite d’accepter la blessure et aussi sa cause. Dans ce cheminement spirituel et psychique, la personne s’accepte en tant qu’individu inscrit dans une histoire personnelle et singulière, et transcende ses blessures dans l’amour de Dieu. Dans cette expérience il s’agit d’une mise à nu de ses propres souffrances, d’une rencontre avec ses propres démons, d’un face à face avec ses conflits intérieurs, pour arriver à s’accepter tel que l’on est et non pas tel que l’on pense être ou pire encore, tel que l’on voudrait être. Tout ceci n'est pas possible sans pouvoir affronter, reconnaitre intégrer et dépasser ses blessures psychologiques. Le travail de Respiration Holotropique consiste à aller plus loin que le sentiment, et à voir ce qu’il y a derrière la peur, la colère etc. Grâce aux états modifiés de conscience, on arrive alors à transcender ses blessures psychologiques et s’y détacher afin que les sentiments ne régissent plus nos comportements. Processus douloureux qui passe par une mort à soi-même, par une remise en question de nos " échelles de valeurs ", et par l’extinction de l’Ego-Usurpateur. Mort-Renaissance volontaire, appelée " fana " par les soufis, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que cendres, afin que de ces cendres renaissent ; Une vie nouvelle et une liberté absolue. Anéantissement du vieil Homme pour que puisse se manifester
l’Homme Nouveau.
La personne devient alors, capable d’actes d’amour. L’amour rend l’homme meilleur, la haine le rend pire, Surtout quand cela s’adresse à lui-même. La personne qui se perçoit selon la symbolique du cœur et de la chair ne peut être victime de l’illusion issue de la perception irréfléchie de ses états vitaux. Les soufis ont toujours cherché un amour absolu et unique pour Dieu, avec une obéissance, elle aussi totale, en annihilant la volonté individuelle et personnelle en celle de Dieu.
Quels sont les ressorts psychiques qui rendent l’expérience soufie immanente réalisable ?
Tout commence par le fait que Dieu implante dans le cœur du croyant l’idée de trouver un guide. Dès lors un sentiment d’insatisfaction et un besoin d’aller plus loin sur la voie vont naître en lui. Suivre les directives et les enseignements du maître spirituel est une bonne chose, et peut émaner du bon sens. Mais ne convient pas toujours à n'importe quel élève, parce que – même si ces directives sont claires et précises – elles s’appuient sur des données spirituelles et symboliques souvent difficile à entendre et à percevoir. Il arrive donc que l'élève se perde dans le dédale de sa propre confusion suscitée par la peur ; alors il résiste et ne comprend plus rien. Et pire, faire le contraire de l'enseignement !!!
L’expérience visée par les confréries soufies est individuelle. Au terme de l’initiation, l'élève parvient seul à l’unité avec Dieu. Cette quête absolue nécessite l’intercession d’un guide spirituel qui connait le chemin et saura conseiller le candidat avec sagesse. Une véritable relation va naître au cours du voyage non seulement de maître à élève, mais surtout entre un guide et un voyageur. Quoi qu’il en soit, les rapports entre le maître et l'élève sont souvent passionnels et exceptionnels. Dans la phase initiale du voyage, le maître vérifie l’authenticité des motivations de l'élevé. En termes soufis, il est appelé «Eshk» » (passion). Il prend racine dans les profondeurs de l’être et s’épanouit en pur amour. L’œuvre d’orientation globale de l’être ne peut se réaliser que si la pulsion dynamique de «Eshk » est durable, permanente. Vient ensuite le «talab» qui veut dire la demande et qui est ce que l’on peut nommer par un état, une énergie qui attire l’homme vers son engagement dans la voie soufie.
Effectivement, le « Talab » se manifeste par un état de tension qui donne au disciple, à chaque instant de son trajet, le courage et la volonté de progresser sur la voie sans fin. C’est aussi, une douleur « exquise » provoquée par insatisfaction perpétuelle qui le porte vers son idéal de perfection et de beauté sublime.
Ainsi, notre vie sera rythmée par les rencontres, les relations, les rapports, le dialogue, le commerce intime, mais aussi par la dualité, l’ambiguïté, les interférences, les controverses, les oppositions, les heurts, peut être aussi par la coopération.
La sagesse soufie universelle permet à l’être humain de transcender les identités réductrices et les idéologies mortifères qui s’insinuent en lui. Plus important encore, c’est surtout la prise de conscience de son universalité. L'apparence n'est pas nécessairement trompeuse et peut au contraire enfanter de forts bons moments où, glissant à la surface des choses, il nous viendrait à l'esprit de plonger dans le profond et le sérieux pour fidéliser nos intuitions. Petit bonheur de l'illusion perdue.
CONCLUSION
Face aux défis de la mondialisation et de la postmodernité, la société d’aujourd’hui enferme l’humain dans un isolement individualiste et dilue la personnalité qui le constitue dans une masse informe et peu harmonieuse, où seuls le sensationnel et les plaisirs matériels comptent. Avant, on comptait sur la famille et la vie sociale pour trouver le soutien utile et nécessaire à la structuration humaine et spirituelle. Les changements du contexte humain et religieux conduisent alors à chercher de nouvelles solutions aptes à répondre à de nouveaux besoins.
Suite à ces grands changements culturels, les besoins d’accompagnement personnel s’en trouvent considérablement élargies et diversifiés. Par conséquent, rassembler les concepts de soufisme et de la psychanalyse signifie discuter, d'une part, de l'ensemble des valeurs sauvegardées dans les concepts d'ascétisme ou de l’amour de Dieu, et une conscience de la présence profonde du Divin, et, d'autre part, une approche de la vie qui prône l’individualisme, le devoir de chaque personne de se perfectionner et de se réaliser matériellement dans la vie.
Cette ouverture vers le spirituel répond au désir des êtres humains d'aller toujours vers le meilleur d'eux-mêmes. L’élément indispensable et non moins essentiel est cet élan affectif capable de mobiliser l’individu tout entier, l’entraînant à se dépasser sans cesse vers l’Absolu. Il trouve cette inspiration dans le soufisme à travers l'expérience de la mort de l'ego. Autrement dit, l'effacement du moi dans la conscience cosmique, ou le «sentiment océanique» que le Dr Sigmund Freud se doutait de sa présence et dont il discutait avec Romain Roland (4). Ceci conduit la personne à un changement complet et profond et à un épanouissement total, car il se réinsère dans le grand courant de la vie et trouve sa place. C'est la connexion avec sa vraie nature, la fin de la dualité du temporel et de l'impermanent.
1 voir René GUENON, Les états multiples de l’être, p 10 et p 11. 1932, 4ème édition.
2 voir Carl Gustav JUNG, Dialectique du Moi et de l’Inconscient,
3 voir carl gustave JUNG Psychologissche Typen, p 629
4 Freud Sigmund , malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1971;p.6.
Saïda MEKRAMI
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