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. Extrait La vie compliquée par les mythes :
En bref, chacun s’invente et se construit une théorie du bonheur, pour vivre et orienter sa vie, quand ce n’est pas pour trouver un soutien et continuer à croire en la vie. Antoine a 26 ans. Il est marin. Son père aimait faire de la voile. Il est mort d’un accident en mer lors d’une tempête. Antoine allait avoir 4 ans. Depuis cette tragédie, Antoine n’a cessé de rêver de devenir marin. Il a retrouvé des souvenirs de son père : des sensations de chaleur, des images de tendresse, l’éclat d’une voix enjouée. Antoine a découvert qu’il ne va pas simplement chercher son père sur l’océan, qu’il ne souhaite pas seulement déjouer le sort et braver les flots. Après la disparition de son père, Antoine a construit dans ses rêveries une vie heureuse où son père aurait sa part. Il imaginait son papa lui racontant ses sorties en bateau, lui apprenant à naviguer, le félicitant de ses progrès, l’encourageant dans son projet. C’est cette fiction, à défaut d’autres soutiens familiaux, qui a rendu possible la réalisation de sa « vocation ». Des émotions très fortes sont remontées à la surface lors de ces prises de conscience. Antoine en a été « très secoué ». Il a pu dire que cette « fantaisie » l’a « protégé du désespoir » et a « maintenu intacte la flamme dans son cœur ». Il est difficile, encore aujourd’hui, de parler de la souffrance des petits enfants. En effet, quand on tente de l’évoquer, de nombreux adultes commencent immédiatement à affirmer que l’enfant n’éprouve rien, ne comprend rien. La sensibilité du tout-petit est au contraire très vive, elle est intacte : il peut vivre des détresses sans fin et survivre à d’immenses douleurs (5) . Le psychanalyste qui écoute sans préjugé théorique et se laisse entraîner au fond des gouffres de l’extrême solitude, pour aider ses patients à en revenir, est le témoin des plus grandes misères humaines. Dans certains cas, le recours à la « théorie du bonheur » ne suffit pas, et la mythologie personnelle s’oriente différemment pour tenter de donner un sens à l’absurdité de l’existence. Cela peut se passer après une mort inexpliquée, un viol, un accident grave, des humiliations répétées ou encore une très forte déception. Le mythe vient alors justifier le malheur, l’ordre pernicieux du monde, la décadence de la civilisation, la corruption des sociétés, et essayer de colmater, tant bien que mal, les brèches qui ouvriraient sur une douleur personnelle trop forte pour être supportée. Il peut toutefois arriver que la solitude et la misère intérieures deviennent un moteur à la création artistique – que l’on songe à Baudelaire, Kafka, Beckett, Yourcenar, Duras ou Céline. Enfin, après un grand chagrin d’amour – surtout le premier amour –, pour avoir été niée par la réalité, la mythologie personnelle peut s’effacer et tomber dans l’oubli. Elle est alors remplacée par une théorie familiale du bonheur. Le discours des parents, ou plus particulièrement le modèle plus assuré de l’un d’entre eux, ou même les conventions du milieu social vont prendre le dessus. L’amour n’existe plus, la personne ne veut plus s’y risquer. Une union de circonstance ou un mariage de raison viennent combler la faille d’une espérance trompée… Et plus tard, on évitera soigneusement de parler aux enfants de l’amour sincère, pour se cantonner à des réalités plus consensuelles et plus superficielles, moins dangereuses pour l’équilibre affectif de l’adulte déçu. NOTES: 1. Cf. S. Freud, L’Interprétation du rêve (1900), Paris, PUF, 2002. |
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Presse Service de presse du groupe Eyrolles : Valérie Riché |
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