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Les abus sexuels 

Par Régis Lamotte
Psychothérapeute, Lauris, France
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Les abus sexuels 

Nous aborderons ce sujet en utilisant différents thèmes répondant à la question suivante : « Que se passe-t-il chez une personne, qui a subi un abus ? » 
Nous pouvons repérer les comportements suivants :

  • Une dissociation entre le corps et la conscience du corps, qui bien souvent crée et génère des difficultés dans la réalité sexuelle de cette personne.

  • La difficulté de construire une image intègre de soi.

  • Certaines difficultés à définir les frontières entre ce qui est son plaisir et le plaisir de l’autre, quitte à n’en éprouver aucun, ou à contrôler le plaisir de l’autre. L’on verra qu’il a beaucoup d’acceptions.

  • Une difficulté à dire, à restituer ou à se réapproprier la parole. Bien souvent, ces personnes n’osent pas dire, à cause de la pression sociale, soit pour éviter de faire souffrir, soit pour éviter un scandale si un proche est concerné. 
    Ainsi, l’abuseur garde toujours un pouvoir sur l’abusé. 

Il est donc important pour elles, qu’elles puissent dire, quelles que soient les conséquences ou, tout au moins, qu’elles puissent avoir le choix de dire, même si elles décident de se taire. Qu’elles se sentent libres de pouvoir dire et ensuite, qu’elles choisissent de dire ou de ne pas dire. Bien des personnes, en consultation, après vous avoir raconter ce qu’elles ont subi terminent par : « Mais ça, je ne le dirai jamais ! ». Il est donc primordial pour le thérapeute de faire entendre à ces personnes qu’elles peuvent avoir la possibilité de dire ce qui s’est passé, tout en se gardant ensuite le choix de le faire ou non.

QU’APPELLE-T-ON UN ABUSEUR ?

Un abuseur est celui qui a autorité sur une autre personne, que ce soit un enfant, une personne handicapée ou plus faible que lui, et qui abuse de son corps, ceci de multiple manières, soit par des attouchements, soit en ayant des rapports sexuels, soit en forçant l’autre à avoir des actes sexuels sur sa propre personne.

Les abus sexuels génèrent chez celui ou celle qui les subit des conséquences qui peuvent être les suivantes :

  • Généralement, lorsqu’un enfant subit cette réalité, il n’a pas encore construit par rapport à lui-même, sa propre notion de son propre désir. 
    Lorsque nous évoluons en tant qu’être humain, tout au long de notre histoire, nous apprenons, par notre propre conscience du corps, à aller dans les limites de ce qui peut être dangereux, de ce qui peut faire souffrir, et au fur et à mesure, nous apprenons à gérer notre désir, à en voir les risques et les dangers. Ce qui nous permet de créer, à l’intérieur de nous-mêmes, psychologiquement et physiologiquement, des limites, des cadres, et ceci pour éviter toute atteinte à notre propre intégrité physique ou morale.

  • Lorsqu’un enfant se développe, il crée, au fur et à mesure, des cadres de limites. Il en reçoit également de l’extérieur, parce que l’adulte sait que l’enfant ne sait pas le danger qu’il risque, et donc puisqu’il ne le sait pas, il est important de lui donner cadres et limites jusqu’à ce qu’il ait appris, dans le cadre de ses propres limites, le risque qu’il y a. Ensuite, il peut continuer à évoluer et repousser les cadres et les limites qui vont être ceux de son apprentissage. 

QUE SE PASSE-T-IL LORQU’UN ADULTE INTERVIENT 
DANS LA REALITE SEXUELLE D’UN ENFANT ?


Cet adulte intervient sur un enfant, qui n’a pas encore construit son désir de la réalité sexuelle de l’autre. 

Un enfant, qui se développe « normalement », va aborder sa propre sexualité d’une manière progressive. Il va d’abord connaître son propre désir, par le plaisir solitaire et autres, et au fur et à mesure, il va construire les limites de son propre désir. Il va connaître que son désir est d’abord par rapport à lui-même : le désir de se satisfaire. Ensuite, il passera dans le désir de se satisfaire avec quelqu’un d’autre. Il y a là bien sûr, des étapes suivies d’étapes qui iront jusqu’à la satisfaction dans la relation avec quelqu’un d’autre. Ceci commence à la pré adolescence, à l’adolescence et ensuite à l’âge pré adulte où alors, effectivement, la relation avec d’autres pourra procurer du plaisir. 

Si dans les espaces « psychologiques » qu’il se construit avant, dans l’adolescence, dans la pré-adolescence, voire dans l’enfance, quelqu’un d’autre intervient dans son territoire physique et psychologique, il n’aura pas encore la maturité de pouvoir gérer la relation sexuelle. Il en sera alors, simplement, à gérer la relation verbale, à apprendre les codes de communication. Il ne sera pas encore dans la disponibilité de la conscience de son corps. Il ne pourra donc pas gérer une relation sexuelle.

Plusieurs options se présentent à cet l’enfant : 

- Généralement et malheureusement, les abuseurs sont souvent des proches avec lesquels l’enfant entretient une relation affective. Il ne saura donc pas dire « non ». Il ne connaît pas encore ses propres limites ni les limites de son désir dans cet espace-là. Il n’a pas encore suffisamment expérimenté sa propre sexualité pour savoir ce qui est agréable ou désagréable pour lui. À partir de ce moment-là, l’adulte qui intervient dans cette réalité, fait en sorte que l’enfant accepte une réalité, que celui-ci ne peut pas intégrer dans sa psychologie, qu’il ne peut donc pas inclure dans sa propre expérience. Lorsqu’un enfant fait une expérience douloureuse, qui est prévue, comme de tomber et de peut-être se faire mal, il peut inclure cette réalité-là dans son expérience. On pourrait dire qu’il avait, en quelque sorte, l’intention de faire cette expérience. Tandis que dans le cadre d’un abus, il subit l’expérience. C’est la raison pour laquelle, il ne peut pas l’inclure. 

C’est alors que va se passer à ce moment-là, un phénomène classique en psychologie. Cet enfant va générer une dissociation. Puisqu’il ne peut pas inclure cette expérience, il sera obligé psychologiquement de se dissocier d’elle. 

Tout comme pour les enfants ayant subi des violences extrêmes, liées à des combats, à des blessures par armes, en temps de conflits ou de guerres, et qui ne peuvent pas inclure cette expérience dans leur réalité - ils n’ont pas la préparation psychologique pour vivre cette expérience et donc, ils n’en comprennent pas le sens. Il s’agit du même phénomène lorsqu’un enfant est abusé, il ne peut pas comprendre le sens de cette expérience parce que ce n’est pas lui, qui en a construit le sens, parce que c’est « l’autre », qui l’oblige à aller dans un sens, qui n’est pas le sien. Aussi va-t-il créer, effectivement, dans son expérience physiologique d’abord, et psychologique ensuite, deux solutions : soit il vivra le plaisir qu’il éprouve, soit il cessera de ressentir ce qu’il ressent, puisqu’il ne peut pas l’inclure. Il va vraisemblablement générer une dissociation, « une sorte d’anesthésie psychologique », où il ne va pas avoir la conscience de son corps afin d’éviter de vivre cette expérience qu’il n’inclura pas. 

Ce qui va donner, si l’on fait une métaphore par rapport à un territoire, une espèce de « no man’s land », « vierge », où il ne pourra plus accéder. Cette expérience, puisqu’elle ne peut pas avoir de sens dans l’évolution dans laquelle l’enfant se trouve, cette expérience va être reléguée dans un non-sens, dans un espace de non-sens, c’est-à-dire que cette expérience n’aura pas de lien avec l’ensemble de sa vie. Il pourra même ne plus y accéder. 

- C’est la raison pour laquelle, dans l’âge adulte, bien des personnes ne se souviennent pas d’abus, ont oublié l’abus, non pas, par suite d’un refoulement quelconque, mais simplement parce qu’elles n’ont pas pu construire une continuité de sens de cette expérience, dans l’ensemble de ce qui faisait sens dans le reste de leur expérience. Il y a donc une espèce de « no man’s land » inaccessible à la conscience afin d’éviter la souffrance, que produirait le fait de donner du sens à quelque chose qui n’en a pas, à quelque chose qui est un abus. 

Dans l’évolution de la personne, il va y avoir une sorte de « no man’s land » psychologique. Ce qui signifie qu’elle n’accèdera même plus à la conscience de cet espace-là. Ce qui pourra produire chez certains adultes, une absence de plaisir sexuel afin d’éviter d’être dans cette espace-là, parce que cet espace-là est un danger potentiel, « l’autre » pouvant venir sur le territoire et sur le terrain de la construction psychologique.

- Dans l’espace physiologique d’une personne abusée, il va y avoir un refus ou plutôt une impossibilité de donner sens à une perception, qu’elle n’a pas les moyens d’intégrer, d’inclure dans son expérience. Un enfant qui tombe avec une bicyclette inclut cette expérience dans l’ensemble de l’apprentissage de l’équilibre : la chute est en quelque sorte inévitable, presque intentionnelle. Personne n’ a l’intention de vivre l’expérience d’un abus. L’enfant n’a pas décidé de la vivre. C’est un autre qui décide pour lui. 

- Cet enfant va donc se trouver également dans une difficulté de positionnement psychologique par rapport à « l’autre », c’est-à-dire que, dans l’espace de la sexualité, il y aura une perte de contrôle de la relation à l’autre. L’autre imposera. La sexualité ne sera pas choisie mais imposée. Plus tard, il lui sera difficile d’avoir des choix dans sa réalité sexuelle. Ce qui, dans sa réalité d’adulte, pourra générer des paradoxes tout à fait opposés à ce qui s’est construit au départ comme, par exemple, la nécessité, la volonté de contrôler la sexualité, voir même l’impossibilité de se laisser aller, pour ne pas perdre le contrôle. Ce qui amène certaines personnes à être privées de plaisir sexuel simplement parce qu’elles veulent éviter de perdre le contrôle. En effet, en perdant le contrôle, elles seraient à nouveau sous le pouvoir et la décision de l’autre, dans la relation. 

Si la relation abusive a été générée par un adulte proche, avec qui l’enfant avait des relations affectives, il peut se produire la chose suivante : 

- La relation affective pourra être incluse, intégrée, puisqu’elle fonctionnait très bien avant l’abus et que, soudain, l’adulte - censé avoir une relation affective équilibrée avec l’enfant, fonctionnant avec une demande et un respect de la demande de l’autre - tout d’un coup, oblige à une relation sexuelle physique où effectivement, là, il n’y a plus de respect de la demande. 

- L’enfant éprouvera la nécessité de dissocier psychologiquement deux choses qui peuvent se retrouver dans sa vie d’adulte : 

  • dissocier la sensation et le plaisir corporel, 

  • dissocier la réalité affective, émotionnelle. 

En cabinet, il m’est arrivé de rencontrer des personnes qui avaient une vie sexuelle totalement contrôlée avec des personnes qu’elles contrôlaient, justement, et avec lesquelles il n’y avait pas de réalité affective. Par contre, lorsqu’elles avaient une relation affective avec quelqu’un, il leur était impossible d’avoir une relation sexuelle. Effectivement, ces deux espaces étaient dissociés, non pas par refus ou par refoulement, mais pour éviter de créer une confusion entre les deux, pour éviter de créer, dans une relation amoureuse et affective, quelque chose qui aurait pu être de l’ordre d’un abus. 

Cela signifie que ces personnes peuvent vivre une vie affective tout à fait épanouissante, sans vie sexuelle, et surtout, quand il n’y en a pas, car dès qu’il y a vie sexuelle, survient le risque de s’abandonner et d’être à la merci de l’autre. Pour ces personnes, il y a une ambiguïté dans l’engagement amoureux, affectif : le passage qui consiste à se laisser aller à une relation sexuelle. Généralement, quand ces personnes arrivent dans cet espace-là, elles décident de rompre la relation. Elles rompent systématiquement des relations affectives, quand elles rentrent dans l’espace où elles vont « devoir » vivre une réalité sexuelle, car celle-ci nécessitera un laisser-aller, un lâcher prise, et c’est à ce moment-là que reviendra le danger : « si je me laisse aller, s’il y a un laissé aller, il y a danger d’être contrôlé par l’autre », au risque de ne plus vivre leurs propres désirs. Et par respect - ce qui est paradoxal - de la relation amoureuse, elles préfèreront rompre cette relation plutôt que d’avoir une vie sexuelle qui risquerait de la détruire.

COMMENT CONSTRUIRE L’IMAGE QUE L’ON A DE SOI 
DANS DE TELLES CONDITIONS ?

- Une personne ayant vécu ces abus dans l’enfance, va garder un espace de sa réalité qui ne pourra pas évoluer, cette espèce de « no man’s land » dans sa réalité psychologique dont je vous parlais tout à l’heure. Cette personne va continuer à se développer psychologiquement « normalement », avec une évolution constante et régulière, mais sa vie sexuelle, elle, n’évoluera plus du tout. Elle opposera un refus ou sera dans l’impossibilité d’investir cette réalité-là. Ce qui la mettra d’autant plus en danger, lorsqu’elle sera adulte, puisqu’elle n’aura pas la conscience, et qu’elle n’aura pas non plus l’expérience de cette réalité-là. Paradoxalement, ces personnes n’auront pas de maturité dans leur vie sexuelle ou bien elles resteront dans une vie sexuelle « infantile ». Elles n’apporteront que ce qu’elles ont connu avant cette expérience-là, et elles pourront continuer à se développer, adultes, d’une manière totalement cohérente et qui semblera cohérente. 

- Supposons qu’un garçon se développe à partir d’un abus. Adulte, il continuera à évoluer en tant qu’homme, psychologiquement, avec un positionnement d’homme. Il pourra très bien avoir une vie sexuelle, qui ne sera peut-être pas forcément mature, au sens de la conscience qu’il aura de lui-même, mais qui sera. Lorsqu’il se retrouvera avec des enfants ou dans une position de père, il se peut qu’il devienne à son tour abuseur. La raison en est simple. C’est qu’il n’aura pas investi la réalité de la relation adulte-enfant d’une manière cohérente, d’une manière saine. Donc, nous aurons là un père, qui en tant qu’homme pouvait assumer sa sexualité, mais qui, le jour où il se retrouve père, ne sait plus assumer la sexualité d’un enfant qui se trouve face à lui. Nous aurons alors un père abuseur ou une mère ayant des comportements un peu étranges et non cohérents vis-à-vis d’un enfant. 

- Cela peut donner aussi des adultes qui refusent d’avoir des enfants, pour éviter justement, que ce qu’ils risquent, eux, de produire, ne se produise, parce qu’ils ont, sans y réfléchir et sans en être conscient, l’idée qu’ils peuvent, eux, en tant que père ou mère, faire vivre cela, tant qu’ils n’ont pas totalement réglé et intégré leur expérience. Ils risquent effectivement, et ils le savent plus ou moins, de mettre en danger quelqu’un dans une situation identique.

- Il peut y avoir également des pères abuseurs chez des hommes qui ont vécu des abus sexuels et qui n’ont pas pu construire de repères d’adulte avec un enfant puisqu’eux-mêmes, se sont trouvés avec un adulte, qui n’a pas su leur permettre de construire les repères sexuels dans la relation adulte enfant. Quand ils se trouvent en situation d’adultes pères avec un enfant, ils ne savent pas construire la relation. Ils peuvent alors passer le cap et avoir une relation sexuelle avec cet enfant car ils n’ont pas les repères de la conscience pour savoir ce qu’est cet apprentissage de la relation adulte-enfant dans une réalité sexuelle.

C’est dans la réalité d’adulte que l’on découvre toutes ces difficultés relatives aux abus sexuels : 

  • L’impossibilité de vivre le plaisir ; 

  • La difficulté de l’engagement dans une relation avec le risque, si l’on s’engage, de devoir se laisser aller et si on se laisse aller, d’être en danger ;

  • La difficulté de créer une cohérence entre une vie sexuelle et une vie affective qui se construit sur cette impossibilité-là ; 

  • Perte du souvenir de l’abus car l’expérience n’a pas pu être incluse dans le territoire de l’expérience subjective. 

« C’est comme si une violence extrêmement grande m’était faite dans mon enfance. Je ne peux pas expérimenter ni intégrer cette expérience-là si, psychologiquement, je n’ai pas encore construit la maturité de l’intégration de cette expérience ».

Aide à apporter

- Il sera primordial de permettre à la personne abusée de pouvoir dire son expérience. Quand elle pourra la dire et la reconnaître, elle pourra enfin reconnaître ce territoire de « no man’s land », territoire non visible à sa conscience. Et le jour où celui-ci deviendra visible, ce sera source de souffrance bien sûr, mais bientôt suivie d’apaisement.

IMPOSSIBILITE DE DIRE AU RISQUE DE TOUT PERDRE

Voilà pourquoi bien des enfants ont du mal à dire ce qui leur est arrivé. Ils se trouvent souvent en situation avec des adultes, qui sont ceux-là mêmes qui leur permettent de se construire. Il est d’autant plus difficile de dénoncer quelqu’un dont on a besoin pour se construire et qui en même temps se révèle être celui qui empêche la construction. « C’est comme si je décidais de dénoncer les fondations et ceux qui construisent les fondations de ma maison, alors que j’ai besoin de ces fondations pour construire ma maison ». Il est difficile pour un enfant de dire que les fondations sont dangereuses, qu’il a besoin d’aide, parce que quoiqu’il arrive, c’est bien grâce à ces fondations qu’il se construit. 

Nous avons donc cet enfant, dans l’impossibilité de dire, par le risque qu’il a de tout perdre, et s’il perd tout - et il le sait très bien, plus ou moins consciemment - il perd également la relation. Il perd tout ce qui lui permet de se construire. Cette impossibilité de dire, ce n’est pas du refus, ce n’est pas du refoulement, c’est l’impossibilité dans la construction psychologique de l’enfant de pouvoir dire cela, à cause du risque qu’il encourt. Dans bien des cas, le silence est la conséquence de chantages à l’amour, de chantages à l’affectivité, et de cette sacro-sainte notion de silence : « Chez nous, on ne dit pas ! Ne dis surtout pas ! ». 

Il y a aussi, malheureusement, l’environnement social, qui refuse de dire, à cause du scandale qui peut en découler. Les adultes ont une responsabilité énorme autour de ce « dire », quelles qu’en soient les conséquences, car en fin de compte, les conséquences du « dire » seront beaucoup moins dangereuses à long terme, que ce que va devoir vivre l’enfant en grandissant.

TOUTE SOUFFRANCE EST SOURCE D’APPRENTISSAGE

Je reviens à cette notion de « comment sortir de cette difficulté ? », ou plutôt « comment inclure, dans son expérience globale, cette expérience vécue ? » parce que toute expérience a besoin d’être incluse.

« Lorsque je me brûle, lorsque je me fais mal, enfant, si je n’inclus pas cette expérience, je n’inclus pas la capacité de savoir cela, ni la capacité de générer la sécurité pour éviter cela ». 

Et il est évident que bien des personnes ayant vécu ce genre de situation, n’ayant pas inclus l’expérience du risque, parce qu’elles ne pouvaient pas l’inclure, se retrouvent dans des situations de risque. Elles n’ont pas l’apprentissage du danger, que cela peut produire dans leur construction mentale et psychologique, et donc, n’ayant pas intégré cette expérience, elles se retrouvent avec un territoire où il n’y a aucune limite. Ce qui peut donner des comportements extrêmes de sexualité débridée parce qu’elles n’ont pas inclus les risques et les dangers par rapport à leur propre psychologie. Elles laissent aller complètement cette situation-là, puisqu’elles ne l’ont pas contrôlée. Elles ne savent pas la contrôler parce qu’elles n’ont rien appris du danger qu’elles encouraient dans leur réalité psychologique.

Ces personnes ont besoin d’inclure cette expérience, d’en tirer les savoirs que l’enfant qu’elles étaient à cette époque n’a pas pu faire. Puisque l’enfant n’avait pas la possibilité d’intégrer, il ne pouvait pas en tirer des connaissances, des apprentissages.

Toute souffrance est « normalement » source d’apprentissage. Nous devons apprendre de toutes nos douleurs, de toutes nos souffrances, pour pouvoir effectivement, dans notre vie future, savoir, lorsque nous nous trouvons dans des situations identiques, ce qu’il est important que nous sachions faire.

COMMENT UNE PERSONNE ABUSEE PEUT-ELLE INTEGRER CET ABUS ?

Il est nécessaire qu’elle intègre cette expérience. Il est nécessaire que cette expérience soit dans son champ de conscience comme quelque chose, non pas de « normal », mais simplement, comme quelque chose ayant existé comme tel. Il est important que cette personne sache ce qu’elle peut en faire, et ce qu’elle en retire. 

Il est important de savoir que beaucoup de personnes qui ont vécu ce genre de situation - et cela découle de mes observations en cabinet - ont développé une sensibilité dans leur vie d’adulte et même très tôt dans leur vie d’enfant, une sensibilité au respect de l’autre, une sensibilité à l’injustice généralement exacerbée, et surtout des notions de respect. Et ces personnes, effectivement, puisqu’elles ont développé des notions exacerbées de respect, de justice, de protection de l’enfance, sans savoir pourquoi, développent une sensibilité à tout ce qui a trait à l’enfance. Ce qui me semble important, dans la réalité psychologique humaine, c’est que toute souffrance et tout vécu traumatique nous permet de développer les qualités et les capacités qui permettent de guérir ces mêmes traumatismes. 

L’ENFANT INTERIEUR – L’ENFANT EXTERIEUR

L’être humain est ainsi fait, avec cette intelligence particulière. Il sait tirer parti de tous ces savoirs acquis, de sensibilité à l’autre, à l’enfance, à la souffrance. L’adulte qui a vécu ce type de traumatisme, à cause de l’enfance qui a été la sienne et qui est restée extérieure à lui - et cela est intéressant - fait une « dissociation » où « l’enfant » – on parle souvent de » l’enfant intérieur » – où « l’enfant intérieur » donc n’est pas resté à l’intérieur. Tout au contraire, il est toujours dehors. « L’enfant » est à l’extérieur, hyper sensible à tout risque, à tout danger que représenterait le contrôle d’un autre sur lui. 

Difficultés avec la hiérarchie

Ces personnes rencontrent parfois des difficultés avec les hiérarchies, les pouvoirs, et toutes notions de contrôle extérieur pouvant s’exercer sur eux-mêmes. Ce qui est légitime par rapport à ce qu’elles ont vécu. Effectivement, elles ont à l’extérieur d’elles, une partie d’elles, dissociée, qui, elle, est d’une vigilance extrême à tout ce qui peut ressembler à de la manipulation, du danger et du risque. Il est important que cette partie extérieure, qui a été utile pour les protéger à un moment donné, qui n’est pas intégrée puisqu’elle est restée extérieure, puisse justement être intégrée. Il est important que ces personnes apportent à cette partie d’elles-mêmes, la protection et tout ce que cette partie aurait eu besoin à l’époque du traumatisme, et qu’elle n’a pas eu effectivement. Cette protection et ces compétences, de toute façon, elles les ont car elles les ont suffisamment développées justement à cause ou grâce à l’expérience.

Je reviens sur cette notion d’enfant intérieur. J’ai la ferme conviction, qu’il ne s’agit pas de sécuriser l’enfant intérieur, mais bien l’enfant en dehors de soi. Il est important de se rendre compte, que dans des situations de traumatisme grave, de grandes difficultés, il y a une partie de nous qui reste à l’extérieur de nous-mêmes, dans l’espace-temps où l’expérience s’est produite. Elle y reste pour essayer d’y comprendre quelque chose, pour essayer de donner du sens. Et cette partie de nous, nous est inaccessible puisqu’elle n’est pas dedans, justement. Cet « enfant » n’est jamais à l’intérieur, il est toujours dehors, en dehors de soi. Il est la vigilance. Il est une sorte de vigie à l’extérieur de nous, qui devient presque, pour certaines personnes, comme un sixième sens. Avant même de réfléchir, elles savent, elles sentent, elles perçoivent tout ce qui peut être dangereux. Et j’insiste, cette partie n’est pas à l’intérieur, elle est bien à l’extérieur puisqu’elle n’a pas été intégrée. Ce territoire n’est pas dedans, c’est une sorte de « blanc », de vide, qui est quelque part sans cesse dans la vigilance, dans la prévoyance de tout risque pouvant survenir de l’extérieur. 

À partir du moment où cet espace - cet « enfant », cette réalité - est remis à l’intérieur, la personne adulte peut redonner à l’enfant qu’elle a été, à une époque lointaine dans le passé, tout ce qui lui aurait été utile à ce moment-là. Elle peut alors mettre à l’intérieur d’elle, métaphoriquement, cet « enfant » et elle, adulte, peut se mettre à la périphérie de cet « enfant » maintenant, à l’extérieur. Il s’agit de faire en sorte que ce soit, elle, adulte, qui décide de ce que cet « enfant » a besoin et non pas que ce soit « l’enfant » qui décide ce dont l’adulte a besoin. Il y a alors un véritable renversement de situation. Cet « enfant » - et j’ en reviens à cette notion - est à l’extérieur et protége l’adulte qui est là, alors que cet « enfant » devrait être à l’intérieur, protégé par l’adulte. Et pour qu’il y ait intégration, tout ce que l’adulte a appris de cet « enfant » doit être maintenant à l’extérieur pour protéger « l’enfant » qui est à nouveau mis à l’intérieur. « L’enfant » n’aurait jamais du être à l’extérieur parce qu’il est essentiellement réactif, alors que s’il est à l’intérieur avec tout ce que l’adulte peut lui apporter, de toute l’expérience qu’il a acquise au cours des années, il redeviendrait actif. L’adulte à l’extérieur devient actif et permet à l’enfant à l’intérieur de trouver cette paix, cette intégrité et cette tranquillité, dont il a tant besoin. Il lui permet justement d’être vraiment, maintenant, à l’intérieur, intégré, inclus, et non plus à l’extérieur, sur le qui vive, en alerte, sans cesse en train de vérifier tout danger qui peut survenir. 

La notion de culpabilité

Dans cet espace des abus sexuels, il se construit d’importantes réalités psychologiques chez celui qui a vécu cela. À partir du moment où un enfant n’a pas pu prendre position face à un adulte, il se sent de surcroît coupable de ne pas l’avoir fait. Ce qui, d’un point de vue de la conscience de celui qui vit cela, est « légitime ». Il n’a pas su dire ce qu’il aurait dû dire, il n’a pas su dire « non ». Ces personnes auront vraisemblablement des difficultés, soit à dire non, soit à contrario, elles ne sauront pas faire autrement que de dire non à tout ce qui pourrait être source de plaisir. Paradoxalement, nous avons les deux extrêmes qui peuvent exister comme conséquences de ce type de comportement.

Bien sûr, la notion de culpabilité chez certaines de ces personnes, peut être très forte, en ce sens, qu’elles n’ont pas pu dire non, qu’elles étaient dans l’impossibilité de dire non à cet autre qui était en face. Souvent cet adulte, en face d’elles, représentait une référence importante. Il ne pouvait pas être coupable. Il était un adulte irréprochable puisque, trop souvent, un parent aimé et respecté. L’enfant, en tant qu’apprenant, ne sait pas tout. Ce ne peut être que lui qui soit dans la situation de culpabilité. « C’est bien fait pour lui, il n’avait qu’à savoir dire non, etc… » . Puisqu’en face, l’abuseur est souvent quelqu’un de qui l’on ne peut pas dire « c’est de sa faute… », puisqu’il est censé être une référence. Ceci est un premier domaine. 

Effectivement, quand certaines personnes, ayant vécu ce type de réalité, se retrouvent dans une situation non seulement affective, mais également sexuelle, elles peuvent entrer dans des espaces totalement fusionnels. Elles ne parviennent plus à se positionner par rapport à l’autre puisque, par expérience, c’est le désir de l’autre qui est dominant. Cela pourra donner des personnes totalement soumises, immédiatement dans la loi et le désir de l’autre, et jusqu’à une totale dépendance à l’autre. Elles ne s’apercevront pas, qu’à un moment donné, elles seront en train d’agir contre leur propre intégrité. Ne plus être dans la fusion pourra provoquer à nouveau le risque. Si elles prennent position, elles risquent une perte ou une rupture. Ces personnes ont des dépendances énormes à cette réalité sexuelle parce que, dès qu’elles sont dans cet espace, elles perdent tous repères de ce qui est juste pour leur intégrité.

L’impossibilité de dire « non »

Nous avons également des personnes qui ont une grande difficulté à se positionner, à dire non, à connaître leurs désirs et comment les exprimer, et qui doutent sans cesse. Si elles expriment leurs désirs, elles risquent de perdre ce qu’elles auraient risqué de perdre si elles s’étaient exprimées de cette manière dans leur enfance. Elles risquent de perdre l’amour, la relation, tout ce qui est là et qui existe. Et donc, dans des situations affectives où il commence à y avoir un engagement, la peur de dire non signifiera : « si je dis non, si je dis vraiment ce dont j’ai envie, si j’exprime mes propres désirs, l’autre risque de me faire le chantage de partir… ». 

Paradoxalement, ces personnes, à un moment donné, ne se positionnant plus dans leur désir, finissent par faire en sorte que l’autre s’en aille parce que justement, ne se positionnant plus, ce qu’elles risquaient, risque d’arriver effectivement. Et c’est le paradoxe dans lequel elles se retrouvent.

Par Régis Lamotte, Psychothérapeute, Lauris, France
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