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. Par Saverio Tomasella, Psychanalyste (1998) | Voir ma page Psycho-Ressources | |
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L’ancien tryptique stable de la psychanalyse des premiers
continuateurs de Freud moi –
oedipe – castration jusqu’à Lacan, est de plus en plus remplacé
dans la clinique d’aujourd’hui par le trio mouvant soi
– narcisse – jubilation, sachant que la figure et le mythe de
Narcisse sont bien souvent relayés par ou combinés à ceux d’Achille,
Icare, Antigone ou Iphigénie… « ‘Ils’ [les
nouveaux patients] ont changé. ‘Ils’ ne viennent plus avec un
beau rêve obsédant et plein de réminiscences en souffrance, ni avec des
représentations converties ; mais avec du présent incarné. »
(Lucien Mélèse, Rêve ou crise,
in La
psychanalyse au risque de l’épilepsie, érès, 2000). Voir aussi
note 15. 2
Chacun de ces films en traite à sa façon : Happy
together, Omelette (Rémi Lange), L’homme est une femme comme les
autres, Le talentueux M. Ripley (Antony Minghella), Drôle de Félix
(Olivier Ducastel), Beau travail (Claire Denis), Tabou (Nagisa Oshima),
Les yeux brouillés (Rémi Lange), Fucking Amal (Lucas Moodysson), Presque
rien (Sébastien Lifshitz)… J’en
oublie certainement beaucoup d’autres. Je
préfère le bruit de la mer de Mimmo Calopresti, dans le dépouillement
de la photographie, l’économie du scénario et la simplicité des
personnages, explicite particulièrement clairement ce dont j’essaie de
traiter dans ce court essai. 3
Au sens le plus ouvert du terme homosexualité (et pas
seulement génital) : homo-affectivité, homo-érotisme…, préférant
d’ailleurs, comme déjà Lou Andréas-Salomé et Sandor Ferenczi le
terme homo-érotique à celui d’homosexuel. On pourra, à ce sujet, lire
le chapitre 3 de la Lettre
ouverte à Freud de Lou Andréas-Salomé dont les intuitions
corroborent les miennes. 4
C’est aussi, à l’époque de façon plus inconsciente que
consciente, ce que j’ai en partie essayé d’explorer dans le roman D’amour
tendre (Editions des
écrivains, 1999). 5
« Les préjugés et les vieilles rengaines ont la vie dure.
Nous assistons, en ce moment, à toute sorte de tentatives de restauration
de l’autorité de la conscience, à une façon de penser sans peine et
sans paradoxe, quand ce n’est pas à une morale antéfreudienne ou au
retours les plus retors de la xénophobie, de l’homophobie et de
l’antisémitisme. Contre ce nouveau vieux malaise de la culture, la
psychanalyse demeure encore le meilleur rempart. Face aussi à une
nouvelle idéologie de la transparence, de l’uniformité et d’une
communication qui n’est que du semblant, la psychanalyse préserve un
lieu de l’intime, de la singularité et de la parole la plus
‘authentique’. » René Major, Chaud
divan, Libération, jeudi 25 mai 2000. 6
De façon plus précise, il faudrait parler de préoccupation
homo-érotique primaire ou d’homo-érotisme
« premier » (fondateur), ou même pour être
encore plus juste d’homéo-érotisme
intermédiaire (transitoire, transitionnel et transitif). On
pourrait en effet considérer, sur le modèle du narcisme
primaire et du narcisme
secondaire de Freud, un homo-érotisme
primaire, constitutif du soi et sous-jacent à toutes les relations
affectives du sujet avec les personnes du même sexe, et un homo-érotisme
secondaire, ayant trait au choix d’objet homosexuel dans la
pratique de la vie sexuelle génitale du sujet. La
notion d’homéo-érotisme va
un peu plus loin puisqu’elle ajoute dans cette recherche
du même des formes de relation plus larges et plus ouvertes, au
sein desquelles la mêmeté
peut aussi se vivre, se rencontrer ou s’imaginer quelque soit le sexe de
l’autre. Ce
serait pourtant mal me lire qu’opposer le même,
ou la mêmeté, à l’altérité.
Elles ne s’excluent nullement mais se complètent, d’autant que le
même prépare à l’autre. Les
« figures de l’altérité, de notre étranger intime, disent la
force d’attraction qu’exerce sur nous la chose même, à jamais hors
d’atteinte. » écrit J-B Pontalis. Encore plus précisément :
« Pour que nos objets soient désirables, pour que la relation que
nous entretenons avec eux soit autre que d’emprise ou de possession mais
demeure animée, mobile – la manière humaine de se sentir vivant -, une
condition est nécessaire : il nous faut perdre la chose –
l’identique, le pareil au même
[le semblable], le hors-temps, le corps total – pour trouver
l’objet [l’autre]. »
J-B Pontalis, La force
d’attraction, Seuil, 1990 (mes
italiques) 7
Narcissisme (ou narcisme)
le plus enfoui, peut-être, mais non pas le plus archaïque, si tant est
que le narcissisme primaire soit véritablement et uniquement archaïque. 8
Même = m’aime… Tu m’aimes - je m’aime - je t’aime
(combinable dans tous les sens) en est la formule expérientielle. Cet
autre-même, sans être
semblable (piège de Narcisse), est comme un moi-auxilliaire
extérieur introjectable, sorte de moi idéal personnifié, qui de
par la relation ainsi mise en mouvement pourra aider au développement
d’un idéal du moi singularisé et intériorisé. C’est en ce sens que
l’homéo-érotisme est
transitionnel : processus
tertiaire (cf. André Green) qui permet le passage entre narcisme
primaire et relation
d’objet. « Dans
maintes formes de choix amoureux, il devient même évident que l’objet
sert à remplacer un idéal du
moi propre non atteint. » S. Freud,
Psychologie des masses et analyse du moi, OPF, tome 16, PUF. Le même
en l’autre, à la fois imaginé et projeté, est le support de cette idéalisation,
souvent transitoire. 9
La cure psychanalytique permet aussi à l’analysant de
s’humaniser en mettant fin à la soumission du sujet à quelque grand
Autre (ou, plus prosaïquement, à un moi idéal envahissant, un idéal du
moi inaccessible, un sur-moi despotique …) Quoiqu’il en
soit, là encore, la célèbre formule de Lacan se vérifie :
« ce qui est forclos surgit dans le réel ». Loin de toute
considération morale et sans aucun jugement de valeur, la demande de
certains « couples » homosexuels à devenir « famille »,
comme s’ils pouvaient devenir ainsi plus « respectables »,
et à « avoir », si ce n’est à « faire », des
enfants, illustre à quel point le retour du refoulé peut être aveuglant
sur le plan social, « l’avancée » juridique n’étant que
le symptôme qui vient en place du fantasme d’être (à deux) comme
homme et femme, pour faire cesser l’angoisse imaginaire (et originaire)
de n’être pas « né » (conçu) de cette union-là. Où le
risque est toujours de confondre le désir avec la demande, et de se
satisfaire de l’imaginaire (le ‘comme si’) pour éviter les
transformations qu’induit l’apparition du symbolique… Impasse,
ou refoulement conservateur,
de l’homo-érotisme, là où on ne l’attendait pas ? Dans
la psychose, et la paranoïa en particulier, cet homo-érotisme est enclavé,
escamoté : c’est la forclusion
de l’homo-érotisme secondaire (homosexualité) du sujet qui
souvent génère le délire, comme en témoigne l’analyse du Président
Schreber (S. Freud, OPF, tome 10, PUF). On pourra lire aussi à ce sujet
de Micheline Enriquez, Le délire
en héritage, Topique n°38, 1986. Pour
Victor Tausk (Œuvres
psychanalytiques, Payot, 2000), dans la paranoïa, la projection naît
de la destruction du soi :
le soi détruit revient de
l’extérieur et est vécu comme persécuteur. En
ce qui concerne la perversion narcissique, pour Alberto Eiguer (Le
pervers narcissique et son complice, Dunod, 1996), l’emprise du
pervers narcissique sur l’autre est un combat sans fin pour conjurer la
douleur, le vide et la vérité (la sienne) : un refus
du même, de ce que le même, intrinsèquement lié à l’histoire
singulière de chaque sujet, porte comme traces et inscriptions. Ce que
l’on appelle le faux-soi
n’en est que la résultante. Tout comme la schizophrénie de la victime
(durable) du pervers narcissique, qui entraîne sa victime dans le vide,
la confusion, l’artifice et les paradoxes auxquels il tente d’échapper :
« la schizophrénie est l’envers d’une perversion narcissique »
(P-C Racamier, Les paradoxes des
schizophrènes, 1978). Voir aussi V. Tausk, op. cit., chapitre 13
(notamment pages 201 à 203). Les
cas d’incestes mettent en évidence un mécanisme psychique de défense
pour survivre au traumatisme : inceste -> sidération -> crypte
-> ensevelissement -> rupture du même -> vide intérieur -> néo-création
-> faux-même -> faux-soi -> sur-adaptation… Tout
cela confirmerait mon hypothèse : le
même est le support du soi ; sa mise en impasse, selon l’in-passe
en jeu, provoque un déséquilibre psychique pathogène (névrose,
psychose ou perversion). 10
Addiction à la présence physique de l’autre, ou à ce qu’elle
semble apporter (assurance, réconfort, apaisement de l’angoisse de séparation…) L’addiction
est un désespoir qui ne peut pas se dire. L’addiction est
souvent la résultante d’une perte insurmontable encryptée d’un
enfant complètement seul face à sa douleur. Une
troisième hypothèse serait alors nécessaire à cette réflexion et fera
l’objet d’un prochain article (« l’éloignement de soi ») :
lorsque l’enfant, en proie à une sidération trop forte, ne peut pas créer
d’autre-soi par extériorisation
imaginaire du même dans
une figure hallucinatoire, il enfouit son soi
blessé par encryptage
du même. Le même
en soi lui devient alors inaccessible et son développement
psychique, affectif et relationnel se fait sur la seule base d’un moi
sur-adaptatif, parfois grâce à la constitution d’un faux-soi
(cf. D. Winnicott et M. Kahn). La rencontre d’un même-proche
en l’autre (réveillant le même
non symbolisable en lui) le pousse à des passages à l’acte souvent
addictifs. La dynamique homéo-érotique est ici bloquée et laisse place
à des conduites répétitives ou évictives, qu’elles soient hétérosexuelles,
homosexuelles, ou a-sexuelles (rejet de toute forme de sexualité). Voir
aussi note 23. 11
« On appellera lieu
(intra-psychique) la
condition en nous de ce que nous puissions parler de quelque lieu que ce
soit. » N. Abraham et Maria Torok, Le
verbier de l’homme aux loups, Flammarion, 1976). Ce
lieu en soi est, aussi,
l’espace du même.
Sachant que, dans la vie, c’est parfois le retour vers un lieu réel qui
permet de retrouver ce lieu
intime qu’est l’espace
du même en soi… Le
lieu même peut ainsi
correspondre à un environnement non-humain (cf. H. Searles). 12
« A prendre les choses à la base, l’amour de
l’homme ne saurait porter, précisément, que sur lui-même. Pour autant
qu’il aime un objet, il l’adopte comme partie de son moi ».
Sandor Ferenczi (Transfert et
introjection, 1909, Psychanalyse I, Payot) D’ailleurs,
pour Freud, comme pour Lacan, lors de l’état amoureux,
l’être aimé et l’idéal du moi se confondent pour le sujet.
(cf. S. Freud, note 8 ;
cf. J. Lacan, Les écrits
techniques de Freud, Séminaire I, Seuil, 1975). Patrick
Delaroche, quant à lui, écrit (dans De
l’amour de l’autre à l’amour de soi, Denoël,
1999) : « L’image que l’on donne aux autres forme
une sorte d’enveloppe du moi. » On
pourrait ainsi dire que, dans l’état amoureux, l’autre est perçu
comme soi (même), d’où mon expression d’autre-même
pour illustrer la relation pré-objectale de l’homéo-érotisme intermédiaire. L’attrait
homo-érotique pour le corps de l’autre-même,
la pulsion d’incorporation ou le désir de fusion avec ce corps, sont
probablement le fait d’un narcisme
primaire non assuré qui cherche à combler ses failles
(psycho-corporelles) constitutives, plus encore que ses manques
(psycho-affectifs). 13
Il naît de sa disparition inexpliquée, immédiatisée, impensable
(voir notamment La crainte de
l’effondrement et autres situations cliniques, D. W. Winnicott,
Gallimard, 2000) 14
La proposition un peu provocatrice « préoccupation
homosexuelle primaire » est un clin d’œil à la « préoccupation
maternelle primaire », certes importante mais qui n’est pas tout,
sinon la psychanalyse ne serait qu’une psychologie de plus. Je crois,
pour ma part, suivant d’autres auteurs (D. Winnicott, A. Green, D.
Anzieu, J. McDougall… et plus près de moi Radmila Zigouris et Lucien Mélèse)
que l’auto-maternage est aussi une capacité « première »
de l’être humain. Cet auto-maternage, re-narcissisation personnelle, a
effectivement à voir avec les phénomènes transitionnels qui aident
l’enfant à vivre la séparation d’avec la mère (ou le père), à
transformer la perte en absence dans l’attente d’un prochain retour.
C’est dans cette capacité psychique, imaginative et créative, à
mettre du même (du connu) à la place du vide (de l’inconnu), avant de
pouvoir mettre de l’autre
au lieu de l’absence,
que se crée cette homéothérapie
(auto-thérapie), ce soin par le même
que j’appelle homéo-érotisme
(car il s’agit bien de libido et de pulsions de vie). 15
Pour plus de détails sur cette conception renouvelée de
l’enfance, de l’être humain et de la cure psychanalytique, on pourra
lire L’enfant de la jubilation,
Radmila Zigouris, Chimères, n°37, automne 1999. 16
J’ai déjà dit ailleurs (Psychanalyse
de l’image, décembre
1999 « Vers une psychanalyse des marques et de leur
expression », thèse de doctorat) que, selon moi, l’inconscient
est organisé comme une musique, une petite musique toute
personnelle, avec ses rythmes, ses mélodies, ses harmoniques, ses résonances,
ses silences, ses repos, ses élans, ses nuances, ses rebonds, ses accords
et désaccords… Pierre
Babin (séminaire du 29 juin
2000), situant la cure psychanalytique du côté de la musique,
affirme : « La musique est faite d’un ensemble de notations.
Elle est faite dans le corps. Ses instruments sont prolongements de ce
corps inventé et retrouvé. Le corps de celui qui écoute la musique fait
partie de la partition. Il y fait jouer une part de sa partition. » 17
Lors de la 24ème séance du Séminaire II, Octave
Mannoni dit à Jacques Lacan qu’il a « le sentiment que
l’imaginaire est une nourriture indispensable du langage symbolique »,
ce à quoi Lacan lui répond : « Pas de sentiment ! »
… 18
« Dire que les positions dogmatiques sont mortifères a pour
nous autres cliniciens une incidence amère : on peut mourir en vrai
de n’être pas entendu, ou rejeté à l’inanalysable et à ses remèdes
pires que le mal. » Lucien Mélèse, La
psychanalyse au risque de l’épilepsie, érès. 19
Le même perçu hors de soi est très souvent le même en soi projeté
sur l’autre. Peut-être
convient-il de préciser que, à la différence du semblable, le même est
tout autre que la mère. Le même
est une création. Ainsi le même en soi
(le sentiment de soi, différent de l’autre) empêche
l’inceste, tout autant que le délire ou le fantasme d’auto-engendrement.
Le même n’est pas commun (comme un), il est toujours radicalement
singulier. Séparé. Aussi, le semblable leurre beaucoup plus que le même.
Le même est, d’abord, irrepérable, là où le semblable est sur-repéré. Beaucoup
de nos patients souffrent d’un défaut de soi, par manque de perception
et de représentation du même
en eux. 20
Idem pour le père. 21
L’image (intérieure)
du corps propre se cherche, se mire et se nourrit par et dans le corps de
l’autre-soi qu’est, au début de la vie, la mère. Continuum de
semblable dont le développement du même
en soi permet à l’enfant de se défaire, imaginairement.
Confirmant cette séparation, le père aidera l’enfant à se détacher
du semblable-mère, symboliquement. 22
« La crise est un savoir sur le chaos » écrit Lucien Mélèse
(Quelle injure à l’histoire
pare l’épilepsie ?, op. cit.), pour lequel « la crise
n’est pas un symptôme interprétable ni un signe qui disparaîtra avec
une cause limitée mais […] appelle toute une histoire et toute une préhistoire. »
(Comme un roman, op.
cit.). La
« crise de l’adolescence » interroge la connaissance de soi,
de son corps (qui change, se transforme), connaissance qui passe aussi par
celle de l’autre-même, autre au corps-même, compagne ou compagnon de
destinée au même-sexe-que-soi. 23
Imitation au sens que lui
a très justement donné Eugenio Gaddini (Scritti,
1953-1985, Raffaello
Cortina Editore, 1989) : « Le pré-modèle psychique de
l’imitation, ‘imiter afin d’être’, s’instaure non pas en présence
de l’objet, mais en son absence, à cause de son absence ; son but
semble être le rétablissement, de façon magique et omnipotente, de
cette fusion du moi et de l’objet. » 24 Introjection telle qu’elle a été définie (en opposition à l’incorporation) par Nicolas Abraham et Maria Torok (cf. Le verbier de l’homme aux loups, op. cit. et L’écorce et le noyau, Flammarion, 1978) Il s’agit ici d’une potentialité d’introjection, de ce qui pourrait se tramer grâce à l’homéo-érotisme et non de ce qui – à coup sûr – se trame. L’incorporation, on le sait, peut prendre le masque de l’introjection, tout en en conservant la « vocation nostalgique » (ibid). Certaines formes d’homosexualité compulsive désespérée sont à interroger de ce côté-là. 25
Voir l’article de Marie-Claude Defores, La
croissance humaine est une lente incarnation : l’image inconsciente
du corps peut-elle en rendre compte ?
in Françoise Dolto, c’est la parole qui fait vivre (une théorie
corporelle du langage), Gallimard, 1999) 26 « Les poètes et les romanciers sont de précieux alliés […]. Ils sont, dans la connaissance de l’âme, nos maîtres à tous, hommes vulgaires, car ils s’abreuvent à des sources que nous n’avons pas encore rendues accessibles à la science. » S. Freud, Délires et rêves dans la Gradiva de Jensen
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