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L'échangisme Par
Yvon Dallaire,
Psychologue, Québec, Canada. |
Tout d’abord, disons que ce comportement est aussi vieux que le monde et s’est manifesté autant à l’époque des cavernes que lors des orgies romaines, des festins du Moyen-Âge ou au moment du libertinage du XVIIIe siècle. L’époque victorienne le fit presque disparaître, mais l’échangisme reprit de la popularité avec le mouvement hippie des années 70, pour reculer à nouveau à cause du VIH au début des années 80. Nous assistons actuellement à un nouvel engouement pour l’échangisme avec l’ouverture de clubs échangistes, de saunas et de soirées privées. Rien de nouveau sous le soleil, sauf qu’actuellement les petites annonces et Internet en facilite la promotion. Google rapporte 863 000 références à échangisme. Il y a peu d’études scientifiques faites sur les couples échangistes. Les quelques rares que j’ai pu consulter démontrent que, sous couvert d’ouverture et d’amoralité, les échangistes sont souvent plus traditionnels et normatifs que les autres couples en défendant l’importance du couple (l’infidélité est vécu en couple, les deux individus n’existent que par le couple), le respect d’autrui (les quatre personnes doivent être d’accord pour procéder à un échange) et le divorce est mal vu (pourquoi divorcer lorsque l’on a tout sous la main, ouvertement). On constate souvent que les membres des couples échangistes, en dehors de ce comportement sexuel marginal, ont une vie tout à fait conventionnelle et qu’ils véhiculent très souvent les stéréotypes des hommes galants et protecteurs et des femmes serviles et obéissantes. Les motivations des échangistes Les motivations avancées par les échangistes sont très variables : mettre du piquant dans leur histoire conjugale et leur vie sexuelle, apprendre à surmonter la jalousie et l’instinct de possession, se faire des nouveaux amis, le sexe pour le sexe sans implication émotive (surtout pour les hommes), pour faire plaisir à son partenaire ou ne pas le perdre (surtout pour les femmes) et finalement, de façon paradoxale, dépasser les limites traditionnelles du couple, pour mieux y rester. Même des sexologues, en toute bonne foi, préconisent l’échangisme et sont les plus talentueux dans l’apport d’arguments favorables. Lors d’un échange épistolaire, une sexologue cherchait à me convaincre du bien-fondé de l’échangisme en m’écrivant que :
L’interprétation des chercheurs En règle générale, les chercheurs en sexologie interprète plutôt que les hommes veulent, par l’échangisme, briser la routine sexuelle qui peut s’installer après quelques années de vie conjugale et satisfaire aussi leur fantasme du « harem ». Quel homme n’a jamais fantasmé sur d’autres femmes que la sienne ? Certains hommes associent même leur virilité au nombre de conquêtes et se vantent et se valorisent d’avoir couché avec toutes les femmes du club, se permettant d’émettre des commentaires sur chacune. Même à l’intérieur d’un couple non-échangiste, la libido de l’homme est généralement plus intense que celle de sa partenaire et c’est lui qui veut expérimenter différentes techniques et positions sexuelles. Nos observations nous indiquent aussi que, dans les clubs échangistes, la femme y est souvent considérée comme simple monnaie d’échange. Dépendante de son mari, c’est ce dernier qui « négocie » l’échange avec un autre homme ; après l’échange, l’homme remercie le mari de lui avoir prêté « sa » femme. Plusieurs hommes vont dans les clubs avec une jolie hôtesse plutôt qu’avec leur propre femme pour augmenter leur pouvoir de négociation. Et lorsqu’ils y vont avec leur partenaire régulière, ils essaient de l’échanger pour une autre esthétiquement plus belle. Dans certains clubs, les femmes peuvent être encouragées (poussées ?) par leur mari à participer à divers concours tels : gilet mouillé, striptease, etc.) Le seul pouvoir de la femme semble être d’accepter ou de refuser les propositions. Il y a donc chosification de la femme dans l’échangisme, comme dans la majorité des comportements sexuels marginaux. Échangisme et jalousie En fait, l’échangiste essaie de satisfaire ses fantasmes d’infidélité en essayant de minimiser les conséquences potentielles et sous prétexte de respecter son partenaire, puisque l’autre accepte « librement » d’y participer. De façon assez générale, l’échangisme est initié par l’homme, comme on peut facilement le constater dans les clubs d’échangistes qui acceptent les célibataires : on y trouve alors beaucoup plus d’hommes. Mais, l’arroseur devient souvent l’arrosé. Par exemple, la femme plutôt réticente au début et qui accepte de suivre son mari y découvre rapidement son pouvoir de séduction lorsque plusieurs hommes la courtise au cours d’une même soirée. Et comme les femmes peuvent être multiorgasmiques, vous pouvez facilement imaginer la suite. Beaucoup de couples fragiles ou peu communicants ont éclaté lorsque l’un des partenaires a vu son conjoint se « révéler » sexuellement avec un autre. Qu’on le veuille ou non, faire l’amour avec différents partenaires permet la comparaison, laquelle ne se fait pas nécessairement à l’avantage de l’initiateur. Tout comme dans l’infidélité classique, savoir que son partenaire a eu des rapports intimes avec quelqu’un d’autre peut blesser, mais jamais autant que la perte de confiance consécutive et la crainte de perdre son conjoint si celui-ci ou celle-ci a plus de plaisir sexuel ou de succès avec l’autre sexe. Nul humain, même soi-disant le plus libéré, n’est à l’abri de la jalousie à la vue de son partenaire en extase avec une autre personne. Les non-dits des échangistes Si vous lisez les livres écrits par des partisans de l’échangisme, vous constaterez qu’ils évitent de dire certaines vérités :
Cas cliniques Voici quelques situations réelles que j’ai (ou que des collègues ont) eu l’occasion de rencontrer en pratique privé.
Il n’y a pas d’étude longitudinale sur le futur des couples échangistes. Mais on peut soulever une hypothèse plutôt négative à leur sujet, sachant que les couples non échangistes divorces deux fois sur trois suite à la découverte de l’infidélité de leur partenaire. Que penser de l’échangisme ? L’être humain possède trois cerveaux : le cerveau primitif (ou reptilien), où est logé le centre du plaisir, le cerveau mammalien, siège des émotions, et le néo-cortex, siège de la conscience, des sentiments et du sens éthique. Le sexe relève du cerveau primaire ; le coup de foudre et la passion (tout comme la colère, la peur…) logent dans le cerveau mammalien. L’amour est un sentiment et relève donc du néo-cortex, seul cerveau considéré comme véritablement humain. Or, il existe dans le monde échangiste une perception mécanique de la sexualité, comme si celle-ci pouvait exister en dehors de toute émotion et de tout sentiment ou signification. Partager sa sexualité avec une autre personne n’est jamais anodin, même si on veut fermement croire le contraire. Des sensations, des émotions et des sentiments surgissent forcément. Ce qui donnent un sens à ces sensations et ces émotions, c’est la raison ou l’intention pour laquelle nous posons des gestes sexuels. Il n’y a pas de réelle différence entre les gestes sexuels posés par les acteurs des films pornographiques et ceux des amoureux. Seul change le sens de ces gestes : faire de l’argent ou établir une relation d’intimité, permettant à chaque être humain de se dévoiler pleinement et de faire pleinement confiance. Vous tous qui me lisez savez très bien que cela n’est pas possible en une brève rencontre entre deux inconnus et que l’amour est l’objectif, si non la conséquence, d’une relation, le désir étant l’initiateur de la relation et la passion, ce qui scelle la relation de façon intense, mais brève. Seul l’amour permet la stabilité, l’engagement et le bonheur à long terme. Je reproche deux choses aux différentes émissions radio et télé portant sur la sexualité : celles-ci ont tendance à 1. ne présenter que les comportements sexuels marginaux et 2. à mettre l’accent sur les aspects mécaniques de la sexualités. Et là réside, pour moi, le principal préjudice social qui en découle. Des gens ayant une sexualité tout à fait saine en arrivent à se demander s’ils sont normaux parce que non attirés par ces comportements sexuels marginaux, mais fortement publicisés. D’autres ont l’impression de ne pas se réaliser sexuellement parce qu’ils n’arrivent pas à avoir du plaisir en essayant de mettre en pratique les recettes miracles présentées lors de ces émissions (que ce soit à la recherche du point G ou de l’orgasme multiple pour les hommes). À quand des émissions d’information axées non pas sur l’exceptionnel ou la mécanique, mais sur les connaissances scientifiques et les meilleures conditions pour s’épanouir sexuellement ? En mettant l’accent sur les comportements marginaux, tel l’échangisme, on en arrive à banaliser la sexualité vécue par tous et chacun. La fidélité, l’engagement, l’ouverture de soi, l’altruisme, l’empathie, la présence à l’autre perdent de leur valeur au profit de l’égoïsme, du me myself and I, du plaisir à tout prix et du sexe pour le sexe. De toute façon, à quoi sert la vibration des corps (cerveau sensoriel), si elle n’est pas accompagnée d’une vibration des cœurs (cerveau émotif) et de la vibration de l’esprit (cerveau humain) ? L’harmonie et l’estime de soi sont les sentiments que l’on ressent lorsque nos trois cerveaux travaillent en collaboration. L’aspect positif du jugement de la Cour suprême est de donner à tout citoyen un peu plus de liberté dans ses comportements : tout être humain peut décider quel cerveau dirigera son comportement. Il ne faudrait toutefois pas oublier que liberté se conjugue avec responsabilité.
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